Lorsque George Sand rencontre Alfred de Musset, pour la première fois, le 17 juin 1833, elle a presque trente ans, est séparée de son époux, et a quitté son amant Jules Sandeau.
Elle travaille à son son roman Lelia, œuvre romanesque et lyrique où l’amour se heurte aux préjugés sociaux.
Alfred de Musset, à cette date, a 23 ans. Il est l’ami de l’écrivain et critique Sainte Beuve qui le présente à Georges Sand, au cours d’un dîner littéraire organisé par la Revue des Deux Mondes.
Il lui écrit sa première lettre, dans la nuit même de leur rencontre. Un mois après, le tout Paris des jugements, des ragots, des sanctions, est au courant de leur idylle.
Au début tout est parfait. En août, ils essaient de s’isoler à Fontainebleau.
Sand tente d’éloigner Musset de son attirance pour le jeu, de son goût pour la débauche, qui le font condamner par une société bourgeoise.
Mais ce n’est pas assez loin. Les deux amants partent pour l’Italie, le 12 décembre 1833, un peu au hasard.
Ils passent quelque temps à Ferrare, puis arrivent en vue de Venise qu’ils ne connaissent pas, mais qui, de réputation est la ville des amours, des passions plus profondes, plus absolues qu’ailleurs.
Ils logent à l’Albergo Danieli. Venise est alors en Carnaval, avec masques et farandoles.
Fatiguée par ce long voyage, George Sand s’alite pour quelques jours. Musset, désemparé, s’en va seul vivre quelques aventures qui ne lui laissent que tristesse existentielle et mélancolie.
Chacun d’eux écrit fébrilement pour décrire le spleen engendré par le froid et la pluie de la ville délaissée par les visiteurs.
George Sand se rétablit. Ils font la connaissance de la lagune, en barque, sans se soucier ni des jours, ni des lieux.
Ils parcourent la ville dans l’admiration de son architecture unique, vont au théâtre, alternent les soupers généreux, les déjeuners oubliés.
Le Spleen de Venise
Mais voilà qu’arrive le temps qui fait alterner les bons et les mauvais jours. Musset a 24 ans et connaît des états d’esprit soudains, sans motif avoué.
Musset renonce souvent à un projet décidé ensemble. Il se montre parfois cruel, parfois tendre, indolent, ironique.
Sand écrit plusieurs heures, chaque jour ou dans la nuit. Son amant la nomme « l’ennui personnifié», la religieuse.
Il éprouve l’humiliation de n’être plus le premier, de passer après les préoccupations littéraires de l’écrivain George Sand.
Ses nuits désordonnées lui procurent des fatigues extrêmes. Il est agité, inquiet, il pleure et veut retourner à Paris.
Il écrit qu’il se sent mourir.
Il a des crises de colère. Il se met à regretter le temps de sa liberté.
Musset retourne aux excès de la débauche, du jeu, de la boisson, à la rencontre des prostituées dont il écrit pourtant qu’elles ne sont que de malheureuses esclaves.
George Sand, patiemment le veille, supporte ses cris, ses injures et finit par appeler un médecin, le jeune Pietro Pagello qui ne quittera pratiquement pas le malade.
Sand et Pietro Pagello
Pour se tenir éveillés Sand et Pagello se parlent longuement, évoquent la beauté de Venise, sa prodigieuse histoire, ses nombreux artistes et musiciens.
Lorsqu’ils peuvent disposer de quelques instants, ils se promènent, font quelques courses.
Peu à peu, Musset va mieux, les crises de délire ont disparu, il reparle de quitter Venise qu’il s’est mis à détester.
Cependant l’intimité dans laquelle George et Pietro ont passé, en février, ces jours difficiles, a abouti à une liaison amoureuse qui les rend imprudents.
Pietro PagelloPietro n’ayant pas de chambre à l’hôtel Danieli, les nouveaux amants ne savent où cacher leurs amours.
Elle remet à Pagello une lettre dans laquelle elle écrit qu’il doit la consoler des maux dont elle à souffert. « Serais-je ta compagne ou ton esclave, m’aimes-tu ou me désires-tu ? »
Musset a des soupçons.
Il surprend des regards, des gestes de connivence.
Il injurie la jeune femme qui, dans une angoisse constante commence l’écriture d’un nouveau roman « Jacques».
Retour à Paris
Musset, guéri rentre seul à Paris, en mars 1834. Il écrit à George pour lui faire part de son projet « confession d’un enfant du siècle ». Séparés, ils restent proches par leur relation épistolaire.
En juillet, quelques mois après, George rentre à Paris avec le docteur Pagello qui a dans ses bagages une lettre où George lui demande : «Pourquoi ne pouvais-je vivre entre vous deux et vous rendre heureux, sans appartenir ni à l’un, ni à l’autre? J’aurais vécu dix ans ainsi. »
Pour l’opinion parisienne, elle feint des amours romantiques, mais très déçue, elle reprend sa liaison avec Musset. Paris condamne ce trio ridicule. Alfred détient une lettre où George écrit : « J’aimais Pietro comme une mère, tu étais notre enfant à tous les deux».
Le docteur Pagello retourne à Venise, George et Alfred ne feront que rompre et se reprendre, se repousser et se retrouver, jusqu’à une scène violente, le 6 mars 1835 où ils rompront définitivement.
La littérature retiendra que jamais l’expression épistolaire de l’Amour n’aura été plus belle.